Ainsi donc une banque européenne et française était poursuivie par la justice américaine pour des transactions opérées de Genève, Milan, Paris, Rome, c’est-à-dire d’Europe, et de Singapour, c’est à dire d’Asie, avec trois pays d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie.

Mais comment les Etats-Unis pourraient-ils sanctionner de telles opérations quand aucun élément de territorialité ne concerne le pays de l’Oncle Sam, tout lui étant extérieur ?

Comment se fait-il que la justice américaine s’estime compétente, quand, de surcroît, la banque est européenne et aucun justiciable américain n’est directement concerné ?

La réponse officielle : les transactions ont été réalisées en dollars américains.

Ainsi donc, le seul élément de rattachement que constitue l’usage du billet vert, a suffi à rendre compétente la justice US pour des pratiques qui contreviennent la décision du Gouvernement américain de bannir trois « ennemis des Etats-Unis ».

Sommes-nous tous dès lors tenus de, dorénavant, respecter les décisions du Gouvernement américain ?

Pour nous qui nous intéressons aux technologies de l’information, c’est une véritable question de fond.

En effet, nous assistons à la transformation numérique et au basculement de toute une société sur et autour des réseaux numériques et le premier d’entre eux, l’Internet.

Or, les points de contact et de rattachement avec les Etats-Unis sont légions.

Ce sont d’abord les ressources rares que sont les adresses ip et noms de domaine sans lesquels l’Internet ne peut fonctionner. Ils sont gérés par une société de droit californien à but lucratif, l’ICANN. Depuis sa création sous l’administration Clinton et jusqu’à l’administration Obama en passant par l’ère Bush, l’ICANN est sous contrôle du département du commerce américain. Les promesses d’une gestion « multilatéraliser » de ces ressources sont permanentes depuis plus de 15 ans, mais rien ne se passe.

Ce sont également ces groupes américains qui font notre quotidien, des moteurs de recherches aux réseaux sociaux, les GAFA notamment, qui nous scrutent pour prédire nos comportements. La plupart de ces entreprises partagent nos informations collectées avec les agences de renseignement américaines, NSA en tête, FBI et CIA pas très loin derrière. C’est le programme PRISM, dont l’autre nom évocateur est « data collection program » qui, en dépit du scandale des suites des révélations d’Edward Snowden, demeure en activité.

Ce sont enfin, ces offres cloud qui se proposent de recevoir et stocker toutes les données de nos entreprises et nos données à caractère personnel. L’arsenal législatif états-unien est déjà en place pour contraindre ces prestataires à la collaboration avec le FBI dans l’ignorance de leurs clients, tout en leur garantissant une impunité vis-à-vis de ces clients. C’est l’USA Patriot Act, voté à l’unanimité du Congrès Américain en Octobre 2001 des suites des attentats des tours jumelles et renouvelé deux fois, dernièrement en Mai 2012. Des dizaines de milliers de « FISA Orders » et « Network Security Letters » sont adressées aux prestataires Cloud pour qu’ils communiquent les informations et données déposées par des personnes de toutes nationalités et résidant dans le monde entier.

Si on suit la nouvelle doctrine américaine, appliquée au cas BNP, l’usage de moyens sous contrôle des Etats-Unis suffirait à rendre justiciable toute personne contrevenant à une décision du Gouvernement de ce pays.

Appliquer cette doctrine à la société en réseau, à tel blogueur, à telle entreprise, à telle organisation qui déplaît, sera un jeu d’enfants.

Si tel était le cas, que resterait-il de mots tels que souveraineté ou indépendance ?